jeudi 22 septembre 2011

Masques et art

Cette semaine, le musée des Arts décoratifs s’apprête à accueillir une exposition de masques revisités par une centaine d’artistes au bénéfice du Japon. Une belle initiative émanant d’une toute petite structure, qui s’est débrouillée comme une très grande pour faire comprendre à tous la nécessité constante d’agir. Si, à l’évocation d’une exposition-vente aux enchères de masques japonais, vous vous imaginez pouvoir acquérir quelque objet traditionnel du théâtre nippon, simplement recoloré par un artiste connu, vous n’êtes pas dans le vrai. Si, en apprenant qu’il s’agit en fait de masques hygiéniques, de ceux que les Asiatiques portent aisément dans la rue et les transports en commun, un point d’interrogation s’affiche au-dessus de votre tête : c’est que ce fameux petit carré de tissupapier vous semble être un objet totalement incongru, qui suscite peut-être même chez vous un sentiment de méfiance, si vous ne l’imaginez pas non plus comme une barrière que ceux qui le portent érigent entre eux et le reste du monde. Eko Sato, à qui l’on doit l’événement qui les présente, s’en explique tout en s’amusant : « Les Français connaissent très mal la culture du masque hygiénique au Japon, et celui-ci peut même entraîner des réactions de rejet. Làbas, quand on est enrhumé, il est plus que naturel de porter un masque, tout comme on appose un sparadrap quand on se fait un bobo… Mais ce n’est pas forcément pour se protéger soi-même, c’est surtout une marque de respect de l’autre, parce qu’on souhaite ne pas le contaminer. En France, il serait assez étrange de porter un tel masque, qui n’est pas ancré dans la normalité. Peut-être se pose-t-on ici davantage de questions quant à son apparence et sur l’éventualité d’avoir l’air ridicule… » Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire à l’énoncé de son nom, Eko Sato n’est pas une Japonaise qui nous analyse façon Candide, en s’écriant à tout va « Comment peut-on être français ? » Eko est née à Paris, d’une mère bien de chez nous et d’un père japonais, et quoique élevée dans une parfaite double culture, ce n’est qu’à l’âge de dix-huit ans, déjà convaincue de devenir journaliste, qu’elle est réellement partie à la découverte de « son autre pays ». A ce moment-là, plus encore qu’auparavant, un leitmotiv se prend de lui marteler la tête : « France-Japon, connexion ». Elle n’aura de cesse, dès lors, en plus de mener sa carrière personnelle (cinq livres dont trois best-sellers au Japon, nombre de collaborations à des magazines, la direction de la toute jeune galerie d’art parisienne sometimeStudio…), de proposer des liens entres les deux nations. Elle crée ainsi l’association Asia Mix Culture, conçue pour être un pont entre la France et l’empire du Soleil-Levant, ainsi qu’un web-magazine dédié, Minimix, et organise par-là même nombre d’événements, comme la venue à Paris du splendide photographe Kishin Shinoyama ou une exposition de design graphique japonais à la Maison de la culture du Japon, en 2000. Le temps passe, employé à merveille dans cette voie, quand advient, le 11 mars dernier, la catastrophe que l’on sait. Eko découvre les mêmes images que tout le monde alors, et ne s’inquiète qu’à moitié lorsqu’elle tente de joindre sa soeur jumelle ou ses amis qui vivent à Tokyo et que personne ne lui répond : « Je m’en doutais, pour avoir vécu là-bas. Au moindre petit tremblement de terre, il est très difficile d’obtenir des communications téléphoniques. » Elle décide cependant de partir au plus vite, jusqu’à se rendre compte que sa simple présence sur place n’est pas ce qui compte le plus. Les Japonais vont bientôt manquer de tout, à commencer par des denrées alimentaires, et le constat est là : il serait davantage utile pour leur venir en aide, de « fabriquer de l’argent ». L’idée pour en trouver germe rapidement. Toujours dans son envie de relier le Japon à la France, Eko Sato avait déjà pour projet d’organiser une exposition autour des masques hygiéniques revisités. Un fabricant nippon lui en avait d’ailleurs déjà gracieusement livré un stock considérable. C’est donc dès le 12 mars qu’elle commence à les envoyer par paquets aux plus grands artistes, créateurs, designers ou architectes de Paris pour qu’ils les réinterprètent à leur façon, et ce, sans avoir encore ni lieu d’exposition, ni soutien financier. « Tout le monde a répondu présent, de manière spontanée, y compris des gens dont je connaissais le travail sans jamais les avoir rencontrés. »  Puis les partenaires, parmi les plus proches et les plus sensibles, s’investissent, avec en tête de file la maison de cosmétiques Shiseido, ultraprésente tout au long de l’aventure, et puis Maïa Paulin, de Paulin, Paulin & Paulin (avec le designer Pierre Paulin) ou Ich&Kar, à qui l’événement doit toutes ses réalisations “print”. Arrivent ensuite très vite le musée des Arts décoratifs, tout de suite partant pour servir d’écrin à la présentation des oeuvres, et, pour assurer la vente aux enchères, la star des commissaires-priseurs, Pierre Cornette de Saint-Cyr. Une question reste cependant en suspens : quand conviendrait- il de programmer l’exposition ? Certains sont d’avis de se précipiter, conscients que dans les médias, une info plus fraîche chasse toujours les autres. D’autres, plus raisonnables, semblent certains que le public sera toujours sensible au problème des Japonais même si, dans le dénuement désormais, ils restent toujours presque trop discrets. Un état d’esprit que confirme Eko Sato : « Bien sûr, ils sont éminemment dignes. C’est qu’ils sont habitués aux catastrophes et à la destruction de leur environnement. Le Kanto Daishinsai, énorme tremblement de terre de 1923, les bombes de la Seconde Guerre mondiale… Les Japonais ont toujours rebâti leur pays la tête haute, en prenant les choses comme elles étaient, non pas dans la complainte, mais dans l’idée de tout reconstruire. Reste qu’aujourd’hui, ils ont besoin d’aide pour cela : de petites villes sont aux trois quarts détruites, il y a des gens à reloger, des écoles à reconstruire… Le Japon aura encore besoin d’aide pendant des années ! »  De nombreuses actions ont montré ces derniers mois que les entreprises, artistes et même particuliers prêts à le soutenir étaient légion. Et ici non plus, la solidarité n’a pas failli. Impossible de citer tous les créateurs qui ont conçu ces fameux “Masques pour le Japon”. Ils sont une centaine, de Sonia Rykiel à Philippe Starck, en passant par Lucien Pellat-Finet, Anne Valérie Hash, Kitsuné, Matali Crasset, Inga Sempé, Christian Lacroix, Yohji Yamamoto, Victoire de Castellane, Robert Stadler… Certains ont réalisé des broderies ou des peintures sur ce matériau pas si simple à travailler. Certains, capables de réalisations grandioses, ont oeuvré dans la douceur, le respect, le feutré ; d’autres ont évoqué un sentiment de colère. Quelques-uns, enfin, sont partis du masque pour le réinterpréter totalement et livrer des oeuvres grandioses, voire vivantes, sur lesquelles le mystère reste aujourd’hui encore entier, histoire de préserver la surprise et l’envie de venir voir l’exposition pour de vrai. La vente aux enchères sera publique, donc, et votre participation la bienvenue, ce mercredi. A l’instar de l’exposition, initiée par une petite structure, les bénéfices des ventes récoltés seront reversés à une association à taille humaine, Knk Japon Enfants sans frontières, que la passionnée Eko Sato connaît bien pour être transparente (une nécessité, bien sûr) et très active tout en étant, malheureusement, peu médiatisée. Dès lors, tous les ingrédients étant enfin réunis pour que l’événement soit un succès, l’ensemble des participants à cette belle oeuvre vous attend nombreux, pour enchérir, surenchérir et aider !